Cannes 2025 : VALEUR SENTIMENTALE

23/05/2025 - Par Perrine Quennesson
Quatre ans après JULIE (EN DOUZE CHAPITRES), Joachim Trier retrouve sa révélation, Renate Reinsve, dans un métafilm émouvant, quoiqu’un peu étiré, sur la famille et ses manques, sur l’héritage de la tristesse et le jeu comme révélateur.

Famille dysfonctionnelle mon amour. Quand le réalisateur, culte mais un peu passé de mode, Gustav Berg revient en Norvège à la mort de son ex-femme, il en profite pour proposer à sa fille aînée Nora, comédienne de théâtre en pleine ascension, de jouer le rôle principal de son prochain film. Elle refuse. Il faut dire que Gustav n’a pas vraiment été là. En se séparant de la mère et en repartant pour sa Suède natale, il a aussi mis une distance avec ses filles, alors petites. Et pour une Nora blessée, ce retour intéressé c’est la goutte d’eau. Pour Agnès, sa sœur, ce come-back est aussi celui des sentiments refoulés. Dans ce triangle d’amour et de souffrance auquel s’ajoutent des traumatismes familiaux mal digérés, chacun est tour à tour, d’une scène à l’autre, le personnage principal du film de Joachim Trier. Avec sa photographie lumineuse et la douceur de son rythme, VALEUR SENTIMENTALE évite les grands éclats, mais travaille plutôt la douleur sous-jacente, les sentiments profonds, les lames de fond de la tristesse. Il cherche à mettre à l’unisson des récits personnels morcelés, incapables de s’entendre justement à cause de ces trous affectifs. Au milieu, il y a cette maison. Grande, noire et rouge, presque vivante. On pense d’ailleurs un peu à HERE de Robert Zemeckis, tant le lieu physique devient le récipiendaire des tourments, la mémoire des émotions, l’objet de tous les enjeux et un repère quand la boussole de nos vies se détraque. Ça n’en a pas l’air comme ça, mais comme dans JULIE (EN DOUZE CHAPITRES), il y a beaucoup de malice et d’humour dans ce long-métrage, notamment parce qu’il place cette famille dans un milieu que Joachim Trier connaît bien, le cinéma. Comme Nora est comédienne, le « jeu » et le « je » ont tendance à s’influencer, l’un servant de révélateur à l’autre, et vice versa. Comme Gustav est en financement et en préproduction de son film, VALEUR SENTIMENTALE se fait méta et commente avec une certaine gourmandise inquiète cette industrie qui se polarise, se transforme et avance sans un regard pour ce qui fut. Parfois un peu « ceux qui savent savent » dans le ton, cette partie du film est aussi l’occasion de faire rentrer Elle Fanning dans le monde de Joachim Trier. Alors que Nora refuse le rôle dans le film de son père, Gustav choisit de faire tourner une jeune star hollywoodienne, Rachel Kemp, qui s’est prise de passion pour son œuvre à l’occasion d’une rétrospective lors d’un festival. Rôle ingrat que celui d’être la remplaçante, celle qu’on ne prend que par dépit, que l’on traite avec une forme de dédain, et qui de surcroît est une parodie de l’Américaine bercée aux blockbusters qui découvre avec émoi le cinéma d’auteur. Elle Fanning s’empare de ce rôle avec une intelligence folle et donne à voir, lors d’une scène de rupture sublime comme on n’en a pas vu depuis longtemps, toute l’étendue de son jeu que l’on savait déjà immense. Parfois étiré, et un tantinet complaisant, VALEUR SENTIMENTALE rappelle tout de même que Joachim Trier est un cinéaste indispensable.

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Sortie : 20.08.25
Réalisateur : Joachim Trier
Avec : Renate Reinsve, Stellan Skarsgård, Elle Fanning, Inga Ibsdotter Lilleaas
Pays : Norvège
Durée : 2h12
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