Cannes 2025 : RESURRECTION

23/05/2025 - Par Aurélien Allin
Bi Gan souhaite célébrer le pouvoir et l’histoire du cinéma. Mais ses belles images manquent autant de chair que de fond.

Après UN GRAND VOYAGE VERS LA NUIT, Bi Gan nous emmène dans un grand voyage vers le cinéma et son éternité. L’intrigue ? Presque impossible à résumer : dans un monde où bannir le songe de sa vie apporte l’immortalité, quelques êtres à part, les Rêvoleurs, continuent de rêver. L’un d’eux traverse les époques, sur une centaine d’années – « Les illusions sont peut-être trompeuses, dit-il, mais elles sont si belles… » Sur le papier, le programme apparaît réjouissant, surtout quand on connaît le faiseur d’images qu’est le cinéaste chinois. Et de belles images, RÉSURRECTION n’en manque pas. Divisé en six parties, le film débute sur un segment d’une splendeur époustouflante, qui redonne vie au cinéma muet et où, dans un mouvement où se côtoient miniatures, décors en perpétuelle formation, ajustement en direct des lumières, marionnettes et matte paintings, Bi Gan convoque autant la captation du réel des frères Lumière (L’ARROSEUR ARROSÉ) que l’expressionnisme de Wiene (DR CALIGARI) ou Murnau (NOSFERATU). Une entrée en matière stupéfiante, constitué de suffisamment d’idées pour nourrir une dizaine de films, que les segments suivants ne parviendront toutefois jamais à égaler, de près ou de loin. Avec sa structure en épisodes, Bi Gan entend explorer l’Histoire du cinéma, ses genres, ses techniques et ses esthétiques, chaque saut dans le temps de son Rêvoleur donnant lieu à une nouvelle petite histoire renvoyant à un des cinq sens – dans l’ordre la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat et le toucher. L’ambition de l’entreprise, insensée, se heurte à un paradoxe : l’incapacité de Bi Gan à rendre l’expérience sensorielle. Tellement conscient de lui-même, ce geste manque désespérément de générosité et écrase le spectateur sous une virtuosité si fabriquée qu’elle ne suscite rien de viscéral ou d’émotionnel – tout juste certains plans suscitent une éphémère sidération. Un manque absolu d’incarnation finalement assez logique : chaque histoire que raconte Bi Gan a trop peu de temps pour aller au-delà de sa nébulosité et/ou de sa superficialité (narrative, de caractérisation, etc.). Impossible pour les personnages alors de prendre forme et vie, d’établir des ponts émotionnels ou psychologiques avec le public, tant ils font office de coquilles vides et de pantins de l’intention du cinéaste – au contraire d’un David Lynch par exemple, dont les protagonistes ont toujours existé par-delà l’étrangeté hermétique de certaines situations. Outre le fait qu’elle se conclue paradoxalement sur un dernier plan mortifère assez désespérant, cette ode au cinéma ne célèbre finalement que la forme. Une forme brillante par moments mais dévitalisée car asséchée de l’autre moteur essentiel du cinéma : le récit et les émotions universelles qu’il permet de susciter pour tous nous lier, ensemble, devant un écran, dans un même élan d’empathie.

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Sortie : Prochainement
Réalisateur : Bi Gan
Avec : Jackson Yee, Shu Qi, Mark Chao, Li Gengxi, Jue Huang
Pays : Chine
Durée : 2h40
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