Cannes 2024 : SANTOSH
« Les chansons des films, ce n’est pas la vérité », assure une des protagonistes de SANTOSH – tout en avouant que celle qu’elle écoute avec sa collègue la fait pleurer. Ce dialogue anodin, au sein d’une scène aux enjeux plus importants, en dit long sur l’entreprise qu’est SANTOSH : raconter et filmer l’Inde avec un regard singulier, loin des recettes d’un certain cinéma local voué à enjoliver, glorifier et glamouriser. Santosh (la magnétique Shahana Goswami) n’a pas la trentaine mais est déjà veuve, privée d’un mariage d’amour : son époux, policier, vient de mourir lors d’une émeute. Sa belle-famille la rejette – elle serait fainéante. Sa famille, comme bien d’autres, considère mieux ses frères. Mais Santosh a une opportunité d’indépendance : reprendre le poste de son mari. Elle découvre la corruption rampante, l’inaction des autorités, l’hostilité des populations – et à son égard, des hommes en particulier –, le mépris des policiers pour les miséreux qui les sollicitent. Lorsqu’une jeune fille de 15 ans est retrouvée morte dans un puits après avoir été violée, Santosh se jette à corps perdu dans l’affaire au côté de sa supérieure. Débute une enquête dont les rouages vont révéler la complexité quasi inextricable de la société indienne. Bien sûr, ce que Sandhya Suri capture dans SANTOSH n’a rien d’une surprise : l’Inde y apparaît écrasée par son cortège de règles, codes et rituels, et profondément fracturée entre castes, genres, religions et classes économico-sociales. Mais la cinéaste, venue du documentaire, dresse le constat avec une assurance captivante, notamment parce que le spectateur effectue le voyage au côté de Santosh. En cherchant la vérité derrière la mort de cette jeune fille violée, elle développe un regard toujours plus critique sur ce qui l’entoure et une volonté de s’affirmer en tant que flic intègre et en tant que femme, sans avoir à subir la constante et insupportable pression du regard – hostile, condescendant ou concupiscent – des hommes. Poussée à bout par les fractures caractéristiques de son monde, qui empêchent souvent tout dialogue, Santosh n’a d’autre choix que de s’endurcir et de jouer avec les règles pour avancer. Là, Sandhya Suri a l’intelligence de ne jamais faire de sa protagoniste un chevalier blanc, et la mène progressivement à confronter ses propres zones d’ombre – le ressentiment qui la ronge après la mort de son mari. Sans effusion, chevillée à un certain naturalisme à mille lieues des fantaisies du cinéma populaire indien, SANTOSH se tient à sa ligne claire, qui regarde les problèmes en face. Problèmes qui, au final, dépassent les contingences indiennes : la lutte des classes que révèle la résolution de l’affaire apparaît, elle, absolument universelle et intemporelle.
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Réalisateur : Sandhya Suri
Avec : Shahana Goswami, Sanjay Bishnoi, Sunita Rajwar, Shashi Beniwal
Pays : Inde / Grande-Bretagne
Durée : 2h