Cannes 2024 : LES PISTOLETS EN PLASTIQUE
Pour celles et ceux qui ne les connaîtraient pas encore, la troupe des Chiens de Navarre décape depuis maintenant des années le théâtre contemporain à coups de pièces drôles et choc qui ne respectent rien, ni personne. Un mélange d’humour potache et de provocation joyeuse, des portraits de l’époque mélancoliques et iconoclastes, sur fond de constat social terrible, emballé dans des spectacles en forme de crises de nerfs, de colère ou de rire épiques. Et depuis deux films déjà (APNÉE, ORANGES SANGUINES), le patron des Chiens, Jean-Christophe Meurisse, emmène sa troupe sur grand écran avec la même envie d’en découdre. Du cinéma électrique, quelque part entre la comédie et le film d’horreur social, qui secoue les spectateurs dans tous les sens. Si APNÉE avait quelque chose de burlesque, de flottant, traçant la veine poético-absurde des premiers spectacles des Chiens, ORANGES SANGUINES et maintenant LES PISTOLETS EN PLASTIQUE s’inscrivent dans le virage brutal et radical des dernières créations de la troupe. Des spectacles, des films qui tapent fort, très fort. Mais juste ? C’est toute la question.
Comme ORANGES SANGUINES regardait la violence de la France de Macron, LES PISTOLETS EN PLASTIQUE attrape un pan de l’époque pour nous le renvoyer dans la gueule. Ici l’affaire Dupont de Ligonnès et notre obsession pour les faits divers. Tout démarre plutôt bien avec une scène d’intro improbable qui rappelle tout de suite où on est. Une logorrhée délirante, une situation scabreuse traitée à froid, un sens du contrepoint drôle et dérangeant : pas de doute on est chez les Chiens de Navarre. Pendant quelque temps, on est même ravis d’y être. Très inspirée, la première moitié des PISTOLETS EN PLASTIQUE s’amuse avec les clichés du film policier (un générique d’intro hilarant) en suivant la route de deux enquêtrices Facebook sur la piste de Paul Bernardin, le fugitif le plus connu de France. Obsédées par cet homme qui a décimé toute sa famille pour disparaître ensuite, elles mènent une enquête minable pour combler le vide de leur vie. Comme toujours, avec les Chiens, les interprètes sont phénoménaux. Delphine Baril et Charlotte Laemmel offrent à ces deux femmes une humanité aussi tordante que flippante. En parallèle, un homme est arrêté à sa descente d’avion au Danemark, soupçonné d’être Paul Bernardin. Tandis qu’en Argentine, un homme va se marier… Et petit à petit, tout va se refermer sur nous.
Car si le film est au départ émaillé de scènes très drôles (Nora Hamzawi en voisine d’avion insupportable, Vincent Dedienne et Aymeric Lompret en flics français pas doués, le monologue épique d’une gardienne d’immeuble…), le film bégaye très vite. Le disque s’enraie, répète la même satire pour arriver là où, au fond, Meurisse semble prendre le plus de plaisir : la nausée. Comme ORANGES SANGUINES qui basculait dans sa dernière partie dans l’insoutenable, LES PISTOLETS EN PLASTIQUE arrête de rire et se retourne contre nous dans une dernière partie oppressante où Meurisse filme comme toujours les monstres en nous. La nausée attendue est là – notamment dans une séquence très dure de tuerie – et après ? À force de répéter toujours les mêmes « trucs », le cinéma de Meurisse est devenu ce qu’il semble dénoncer : un système. Une petite machine qui tourne en rond, qui appuie là où il faut pour faire rire (étirer les scènes et créer le malaise) ou foutre la frousse (mettre des images sur l’inconscient collectif), et déroule son programme rigolo-punitif à la lettre. Une rigolade, une tape sur les doigts. Rien de neuf. Là où le théâtre des Chiens réussit malgré tout à avoir encore une âme par la présence folle des comédiens, au bout du troisième film, leur cinéma, dévoré par l’auteur, semble effectivement en plastique.
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Réalisateur : Jean-Christophe Meurisse
Avec : Delphine Baril, Charlotte Laemmel, Laurent Stocker
Pays : France
Durée : 1h35