Cannes 2024 : LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE

25/05/2024 - Par Aurélien Allin
Si, sur près de trois heures, la démonstration tourne parfois en rond et perd en force, la rage engagée de Mohammad Rasoulof l’emporte.

L’expression « se mettre en danger » qu’affectionnent nombre d’artistes de cinéma revêt un sens littéral pour le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof. Son œuvre, dans laquelle il met régulièrement en accusation le régime de la République Islamique, l’a conduit plusieurs fois à être condamné – à la prison ou à ne pas sortir du pays. Récemment, c’est ainsi d’une peine de 5 ans d’emprisonnement dont il a écopé, le poussant à fuir l’Iran. Et pour cause : son dernier film, LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE, s’intéresse aux manifestations conduites par la jeunesse, et en particulier les femmes, après la mort de Mahsa Amini, arrêtée puis tabassée pour ne pas avoir porté le voile. Un mouvement de liberté chroniqué au quotidien par les Iraniens sur les réseaux sociaux et violemment réprimé par les autorités locales. Mohammad Rasoulof construit ici un schéma narratif où la cellule familiale sert de métaphore à toute une société. Un père de famille qui a toujours caché à ses filles son travail d’informateur des tribunaux révolutionnaires obtient une promotion : il est désormais juge enquêteur et doit valider les requêtes du procureur. Certaines affaires réveillent sa conscience et son intégrité, il se plie néanmoins à son devoir d’obéissance. Sa famille, elle, doit se montrer exemplaire aux yeux du régime – « Pas de photos sans voile sur les réseaux ! », exige le patriarche de ses deux filles. Cette cellule unie se désagrège peu à peu à mesure que les conséquences du travail du père resurgissent sur sa famille. LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE opte tout d’abord pour une construction classique du conte moral, déjà vue dans le cinéma iranien et particulièrement ces dernières années chez Asghar Farhadi – peut-être même peut-on y voir une manière, pour Rasoulof, de glisser un commentaire sous-jacent sur son collègue, souvent accusé d’être trop tolérant avec le régime. Par une succession de scènes au sein du foyer, LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE déconstruit tout ce qui déraille dans le système iranien, de son système judiciaire à la condition de la femme en passant par la propagande assénée par les médias officiels. Une dénonciation au vitriol qui passe tout autant par le verbe (de longs débats entre la mère et ses filles sur les émeutes ou sur la mort d’Amini) que par l’image (une scène remarquable où la mère soigne une amie de sa fille, retire soigneusement les billes de chevrotine de son visage, avant de les jeter dans un évier alors éclaboussé de sang rouge vif), même si le découpage, en huis-clos, apparaît parfois étriqué. Le tout, intercalé d’images réelles de manifestations et de leur répression. La mécanique est implacable, le propos remarquable de pertinence, mû par une rage palpable. Pourtant, la folie du système que dévoile Rasoulof se retourne contre le film : parce que les personnages ne semblent jamais pouvoir sortir de ces dédales kafkaïens, la démonstration tourne en rond, les mêmes idées et schémas revenant sans cesse. Ce surplace dit et raconte, bien sûr, mais il empêche aussi toute progression dramaturgique pendant une partie du deuxième acte. Jusqu’à ce que Mohammad Rasoulof abatte enfin tous les murs et mène ses quatre protagonistes dans un labyrinthe en ruines à ciel ouvert – comme la réification de l’état de leur cellule familiale et du pays – où, entre western et conte fantastique, LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE préfère alors le mouvement à l’immobilisme, l’acte à la réflexion, et atteint enfin sa pleine puissance.

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Sortie : Prochainement
Réalisateur : Mohammad Rasoulof
Avec : Soheila Golestani, Setareh Maleki, Misagh Zare, Mahsa Rostami
Pays : Iran
Durée : 2h48
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