Cannes 2024 : LES FANTÔMES
Depuis au moins LE CRIMINEL d’Orson Welles et MARATHON MAN de John Schlesinger, on sait que la traque des criminels de guerre fait un sujet de cinéma hautement romanesque. Avec LES FANTÔMES, Jonathan Millet investit ce sujet avec une maîtrise formelle et narrative qui impressionne, son récit parvenant à emprunter avec autant d’assurance les chemins du thriller que ceux de l’errance psychologique. Tout commence avec une lente et longue ouverture en fondu comme une note d’intention stylistique : LES FANTÔMES prendra son temps pour dévoiler ses enjeux, ses protagonistes et leurs intentions. Jamais pour filouter ou se jouer des attentes, mais pour mieux ancrer son propos et les émotions de ses personnages. Durant cette longue scène d’introduction où l’obscurité laisse peu à peu entrevoir ce qu’elle dissimule, le son, lui aussi, est vital, la seule bouée à laquelle le spectateur peut se raccrocher. Émergent les bruits d’un camion sur une route cabossée, la peur et l’attente de personnes dont on ne sait rien, puis des coups de feu, menaçants, soudains. Cette prédominance du son dans les premiers instants du film est cohérente : Jonathan Millet ne va avoir de cesse de chercher divers moyens de mettre à l’image les sens que met à profit son personnage enquêteur, Hamid, pour traquer ce criminel de guerre syrien qu’il croit avoir retrouvé en France. La vue, dans de longues séquences de traque et de filage, à la fois captivantes et en permanence en suspension, où la raison voire le bon sens de Hamid se voient questionnés. L’odorat, comme vecteur de souvenirs que la vue ne pourvoit pas. Et l’ouïe, donc. Elle est sans conteste le sens essentiel du film, porté notamment par la partition composée par Yuksek qui, entre nappes et synthés, lui offre une pulsation mi-amniotique mi-syncopée qui écrase le spectateur pour mieux l’enserrer dans la psyché et les émotions de Hamid – une immersion à laquelle le magnétisme de son interprète Adam Bessa n’est pas non plus étranger. Avec sa lumière naturaliste qui ancre le destin de Hamid dans une quotidienneté effrayante, bien plus sèche que si Millet s’était essayé à un style surligné, LES FANTÔMES avance avec une maîtrise folle. Il multiplie les idées passionnantes pour figurer l’obsession de la traque – les discussions au téléphone calées sur d’autres images –, place ses pièces sur l’échiquier, sans que jamais l’on ne puisse vraiment savoir où le récit aboutira. Millet prouve même qu’il a déjà l’assurance des grands, notamment lors d’une scène de déjeuner au restaurant absolument étouffante dont le Michael Mann de HEAT serait fier.
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Réalisateur : Jonathan Millet
Avec : Adam Bessa, Tawfeek Barhom, Julia Franz Richter
Pays : France
Durée : 1h46