Cannes 2024 : LES DAMNÉS
Son précédent documentaire, sur l’Amérique noire et notamment l’héritage des Black Panthers (WHAT YOU GONNA DO WHEN THE WORLD’S ON FIRE), faisait figure d’exception : Roberto Minervini, Italien exilé aux États-Unis, filme l’Amérique blanche, pour mieux comprendre les cerbères de sa suprématie. Son statut d’étranger le décomplexe, il parle de politique, de racisme et de l’Histoire du pays avec franchise et objectivité, une acuité, un recul et un franc-parler singuliers. Parce que son style-vérité s’intéresse au contemporain et filme l’aujourd’hui, il ne pouvait passer que par le biais de la fiction pour raconter hier, et plus particulièrement cette Guerre de Sécession qui, pour lui, donne à voir une rupture pouvant expliquer la situation actuelle de l’Amérique. Il suit un régiment de tuniques bleues, chargé d’aller vers l’Ouest sur des territoires inexplorés. Il y aura une bataille, des rencontres avec d’autres armées, mais tout ça restera de l’ordre de l’allégorie. Ne demandez pas à Minervini de respecter les faits : il respecte une réalité. Sa bataille cristallise toutes les batailles, où de jeunes défenseurs de la liberté meurent sous les balles ennemies ; les silhouettes au loin qui menacent peuvent être celles de sudistes ou celles d’Amérindiens. Peu importe, le réalisateur recrée une époque, un état de guerre, une Amérique divisée pour toujours. Un bellicisme, un droit d’attaquer et de se défendre qui sont au cœur de l’identité du pays. Une crise de foi pour ceux qui ont du mal à croire qu’un Dieu permette une telle boucherie, face à ceux qui pensent en être les bras armés. Minervini entend « déconstruire le film de guerre, l’hyper-masculinité et le concept-même du héros » : loin de la profusion et de l’hyperviolence des productions américaines, ses personnages discourent et attendent ; aucun coup de feu n’est anodin et même si chacun est convaincu d’être du bon côté de l’Histoire, mourir pour la cause, c’est une autre affaire. On s’enrôle aussi pour l’argent, pour travailler et pas forcément par idéologie. Des conversations, on sent du vécu, des improvisations, des réflexions personnelles. Les acteurs sont non-professionnels et si le syndrome « atelier amateur » peut parfois affleurer, Minervini travaille, c’est vrai, sans scénario ; il écrit au montage, laissant le réel imprégner l’écran. Le dispositif est simple : l’époque n’est recréée qu’à travers les costumes et les accessoires. Le reste n’est que vastes étendues d’Amérique, filmées en Scope comme un western, souvent au grand angle pour souligner l’immensité des choix, la vastitude des terres qu’on s’approprie pourtant. Chaque image porte le poids politique que Minervini entend donner à son film : au nom de sa liberté, l’Amérique se fait la guerre comme personne, comme un réflexe qu’elle tentera d’expliquer plus tard, un jour, dans un examen de conscience dont ses artistes ont le secret.
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Réalisateur : Roberto Minervini
Avec : Jeremiah Knupp, René W. Salomon, Cuyler Ballenger
Pays : États-Unis
Durée : 1h28