Cannes 2024 : LA PAMPA

20/05/2024 - Par Renan Cros
Déguisé en beau film d’apprentissage, LA PAMPA raconte la violence des pères et la terreur des fils. Un premier long, romanesque et intime, qui regarde la France au bon endroit.

Même si LA PAMPA est son premier long-métrage, Antoine Chevrollier n’est pas vraiment un petit nouveau. Réalisateur d’épisodes du BUREAU DES LÉGENDES et de BARON NOIR, le scénariste est également le créateur et réalisateur d’OUSSEKINE, l’une des grandes séries françaises de ces dernières années. Dans son travail on trouve une façon de penser le politique par l’intime, de raconter comment la société façonne ce que nous sommes, comment on réagit, comment on vit les uns avec les autres, parfois et trop souvent, les uns contre les autres. Une sorte de cinéma social tendu, presque du cinéma d’action au quotidien où la tension et les luttes mettent les corps en mouvement. Il y a tout ça dans LA PAMPA, beau premier long. Sur un terrain de moto-cross, les compétiteurs s’affrontent sous le regard perçant de trois hommes, trois générations. Un père tendu, un entraîneur pugnace et l’ami, fier. En quelques scènes, délicates et précises, Chevrollier nous glisse dans le quotidien de Willy et Jojo, amis d’enfance, liés par une passion paternelle de la moto. L’ombre des pères s’installe, l’un mort trop tôt, l’autre mur de béton qui pousse Jojo (excellent Amaury Foucher) toujours plus loin. L’adolescence est là, sous nos yeux, avec ce rythme indolent fait de grandes conversations et de petites transgressions, le regard des mères au loin, celui des filles qu’on désespère accrocher… Sans même qu’on s’y attende, un drame va se mettre en place. Mais pas exactement comme on l’attendait.

À la manière de l’écrivain Nicolas Mathieu dont on croirait cette histoire sortie d’un de ses livres, Chevrollier laisse ses personnages faire, ne les enferme pas dans un déterminisme et trace un portrait doux d’abord puis terrible de la virilité et de ses injonctions. Dans les pas et les yeux de Willy, le fils sans père, Chevrollier filme un combat intérieur, un apprentissage violent de la douceur, le deuil d’un idéal. LA PAMPA est l’histoire d’une désillusion. Pas tant un récit d’apprentissage mais celui d’une acceptation terrible. De la violence, de la mort, de ce qui blesse et ne se répare jamais. Antoine Chevrollier trouve dans le regard de Sayyid El Alami, impressionnant de justesse, toutes les nuances de son cinéma. Avec sa caméra nerveuse, toujours précise, il fait de Willy une sorte de paratonnerre qui absorbe la colère et les peurs des adultes (tous parfaits, Damien Bonnard, Florence Janas, Mathieu Demy, Artus). Un personnage fort et fragile, une sorte de témoin muet, dont la beauté culmine dans une scène de danse, comme un temps suspendu où sur la mélancolie du « Bahia » de Véronique Sanson, Chevrollier filme l’adieu définitif à l’enfance et l’amertume du monde des adultes. Peut-être le film aurait-il pu s’arrêter là, tant il touche ici à l’essence de ce qu’il veut raconter, tant la mise en scène maîtresse s’échappe avec grâce du récit. Refermant dans sa dernière partie de manière peut-être un peu appliquée toutes les échappées que le récit avait ouvert, LA PAMPA n’en est pas moins un grand film à la fois politique et intime. Un regard juste sur une France, en apparence sans histoires, peuplée de violence et de cœurs brisés.

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Sortie : Prochainement
Réalisateur : Antoine Chevrollier
Avec : Sayyid El Alami, Amaury Foucher, Artus
Pays : France
Durée : 1h44
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