Cannes 2024 : KINDS OF KINDNESS

17/05/2024 - Par Renan Cros
Histoire de se prouver qu’il n’a pas été complétement avalé par Hollywood, Yorgos Lanthimos embarque ses stars fétiches dans un road (bad) trip à LanthimosLand en trois étapes. Rigolo mais rien de nouveau.

Que fait un auteur quand il doit attendre que son film sorte ? Il angoisse sûrement, il doute beaucoup, se pose trop de questions. Et forcément, s’il a un peu trop de temps devant lui, ça donne des films. Film à sketchs tourné quasiment dans foulée de la post production de PAUVRES CRÉATURES, KINDS OF KINDNESS intéresse plus pour ce qu’il dit en creux des doutes de Lanthimos que de ce qu’il manifeste à l’écran. Derrière ces trois contes cruels, juxtaposés sans vraie ligne directrice (si ce n’est un même personnage mutique qui croise les trois histoires), on sent l’envie de Lanthimos de reprendre le contrôle. Revenir aux origines de son cinéma. Faire comme avant. Vraiment ?

À l’image, tout est là au bon endroit. Co-écrits avec son scénariste des débuts Efthymis Filippou, les trois segments de KINDS OF KINDNESS déploient tout le savoir-faire et le savoir-vivre de Lanthimos. Mise en scène léchée au minimalisme inquiétant, humour à froid, sursauts de violence et ambiguïté morale : le programme est respecté à la lettre. Même un peu trop. Car au fond, ces trois histoires ne font que répéter ce que le cinéaste disait déjà dans KINETTA, CANINE et ALPS, ses trois premiers films. L’idée d’un monde où tout opprime, tout déprime, où le faux et le vrai se confondent, avec la déraison comme seule manière de vivre ensemble. Ici, avec pour vague fil rouge l’amour, on croise donc un homme dont la vie semble réglée par un autre, une femme rescapée que son mari ne reconnaît plus et une secte désespérément en quête d’un miracle. Tout est bizarre, cruel, sexuel, violent, drôle et triste à la fois. Du Lanthimos, découpé en tranches. Mais avec des stars en plus. Et c’est ce qui rend à la fois cette visite en terrain connu agréable et un peu vaine. Car bien sûr, on prend du plaisir à voir Emma Stone, Willem Dafoe et surtout le petit nouveau chez lui, Jesse Plemons, excellent, se tordre et se plier dans cet univers fou. Moustache, slip, sourcil, sous pull, la panoplie est impeccable. Et ils ont l’air de franchement s’amuser à l’écran. Peut-être un peu plus que nous.

Car s’il y a du cinéma partout dans KINDS OF KINDNESS, il n’y a pas vraiment de nouvelles images. Plus best-of chic qu’autre chose, cet opus roboratif (2h44) a bien quelques trouvailles rigolotes, quelques provocations amusantes mais ne décolle jamais au-delà. Car au fond, c’est juste l’idée même de faire un film pareil avec ces gens-là qui amuse et motive le cinéaste. Pas plus. Comme si par l’existence même de KINDS OF KINDNESS, il se prouvait à lui-même qu’Hollywood n’avait pas avalé l’auteur mais que l’auteur avait dompté Hollywood. Mais qui de Hollywood ou de Lanthimos gagne à la fin de KINDS OF KINDNESS ? La réponse est hélas bien plus mitigée. Devenu démonstration de force, son cinéma perd ici l’étonnement et l’âpreté de THE LOBSTER ou MISE À MORT DU CERF SACRÉ pour devenir une sorte d’un cirque de freaks qui amuse à défaut de bousculer. Pour qui ne connaît pas bien Lanthimos, le séjour a ce qu’il faut pour épater et amuser. Pour les plus familiers de son cinéma, le dépaysement est un peu léger.

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Sortie : 26/06/24
Réalisateur : Yorgos Lanthimos
Avec : Emma Stone, Jesse Plemons, Margaret Qualley, Willem Dafoe
Pays : États-Unis
Durée : 2h44
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