Cannes 2024 : IT DOESN’T MATTER
Huit ans après un pur rejeton du cinéma indépendant en guise de premier long (JAMES WHITE), Josh Mond, probablement très inspiré par les contraintes du Covid, repense la forme et lorgne vers un cinéma plus underground et moins codifié – on note d’ailleurs que c’est le plus radical du groupe avec lequel il a émergé, formé de Sean Durkin (MARTHA MARCY MAY MARLENE, THE IRON CLAW) et Antonio Campos (AFTERSCHOOL, LE DIABLE TOUT LE TEMPS). Dans ce qui possède tous les codes du documentaire, sans jamais en être un, il raconte la vie d’Alvaro avec pour point de départ Brooklyn au printemps 2020, bouclé par la pandémie. Comme un défi que Chris, son pote incarné par Christopher Abbott, lui lance, ce mystérieux personnage partage des films personnels, souvent captés via son téléphone. Ainsi Chris, avatar de Josh Mond, peut monter les rushs, et remonter jusqu’en 2014, à Hawaï, début d’un périple à travers l’Amérique qui va voir Alvaro fréquenter de drôles de zigs, dormir sous les ponts et affronter toutes sortes de mauvaises passes mentales, jusqu’à la rédemption – le film se termine en décembre 2021. La porosité entre le documentaire et la fiction va jusqu’à mettre en scène Josh Mond lui-même lors d’un appel en visio avec Chris et Alvaro, entre vieux (faux) copains de lycée. Ces allers-retours temporels et ces escales à travers le pays (Portland, Houston, Vegas, le Wyoming etc) dressent donc le portrait d’un jeune homme fauché par la solitude, plombé par des traumas, qui va et marche pour mieux essayer de se trouver. Ce portrait-là est doublé de celui toujours politique d’un homme noir en Amérique(s). Troublant hybride de tons qui ne cesse de casser les distances avec la fiction – Alvaro est joué par Jay Will, la confusion ne dure pas longtemps –, IT DOESN’T MATTER semble, par son titre, revendiquer un cinéma laxe, improvisé, voire nihiliste. Le film est l’inverse : le fruit d’un travail scrupuleux, convergeant vers un coming-of-age, sur les alternances des formats, aussi libre sur les cadrages (on est souvent sur de la vidéo captée à l’arrache par le téléphone mobile d’Alvaro) qu’il peut devenir extrêmement précis. Preuve de plus d’une production tout ce qu’il y a de plus solide, des passages animés, au style urbain, moderne et pourtant intemporel – rappelant d’ailleurs Bill Plympton. Le film a beau raconter l’isolement, il le fait avec un certain esprit de la communion entre les arts et les artistes, comme pour tenter de tirer quelque chose de bon de la période Covid. C’est très émouvant de voir que les effets de la pandémie sur le cinéma se manifestent enfin de la plus créative des manières.
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Réalisateur : Josh Mond
Avec : Jay Will, Christopher Abbott, Nicholas Borgeman
Pays : États-Unis
Durée : 1h26