Cannes 2024 : I, THE EXECUTIONER (VETERAN 2)

21/05/2024 - Par Aurélien Allin
Presque dix ans après le triomphe commercial de VETERAN, Ryoo Seung-wan lui donne une suite et ne déçoit pas.

De tous les cinéastes majeurs du renouveau du cinéma coréen survenu au début des années 2000, Ryoo Seung-wan est l’un des grands oubliés de la critique et du public européen. Bien sûr, un de ses films a été sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes (le génial CRYING FIST, en 2005) ; certains de ses films se sont faufilés discrètement jusqu’à nos salles (BATTLESHIP ISLAND) ou nos rayonnages vidéo (THE AGENT, ESCAPE FROM MUGADISHIO). Mais, hors de Corée, son aura n’a pas le lustre des Bong Joon-ho, Park Chan-wook ou Kim Jee-woon. Pourtant sa filmographie, qui balaie divers genres, demeure passionnante, à chemin égal entre le grand spectacle populaire et le cinéma d’auteur.

Parmi ses plus grands succès figure VETERAN, comédie policière ultra cool héritière de L’ARME FATALE, LE DERNIER SAMARITAIN ou LE FLIC DE BEVERLY HILLS qui, en 2015, avait attiré 14 millions de spectateurs coréens dans les salles. Le toujours très physique Hwang Jung-min y incarnait Do-cheol, flic vénère n’hésitant jamais à jouer des poings pour soumettre un méchant qui, là, traquait sans relâche un gosse de riche violent et imbu de son pouvoir (Yoo Ah-in), promis à reprendre la grosse boîte de son père. Projeté au Festival du Film Coréen à Paris mais jamais sorti en France, pas même en VOD ou DVD, VETERAN alliait divertissement confectionné avec la plus grande des expertises et conscience politico-sociale.

Il aura fallu neuf ans pour que Ryoo donne enfin suite à cet immense succès artistique et commercial. Entre-temps, le cinéma coréen a explosé sur la scène mondiale et une tripotée de films d’action policiers plus ou moins inspirés par l’esprit frondeur de VETERAN ont vu le jour – comme KOREAN FRIED CHICKEN ou la franchise des ROUND-UP, avec Ma Dong-seok. Une donne industrielle qui pousse irrémédiablement Ryoo à se renouveler et à repousser les limites. VETERAN débute au son du tube « Yes sir, I can boogie » de Baccara. Avec son ton léger, ses gags slapstick, sa caméra virtuose, son action inventive et lisible, cette entrée en matière renvoie directement à l’esprit du premier – il pourrait même faire la passerelle avec le précédent film de Ryoo, SMUGGLERS, toujours inédit chez nous. Puis, très rapidement, VETERAN 2 bascule.

Un tueur en série qui élimine des hommes que la justice n’a pas puni crée l’hystérie sur les réseaux et la vindicte dans la rue. Do-cheol a beau aimer tabasser les méchants, ce vigilante masqué doit être arrêté : « Un meurtre est un meurtre ». Bien sûr, VETERAN 2 n’abandonne jamais complètement son ADN de comédie policière – le duo que forment Hwang Jung-min et Oh Dal-su tourne encore à plein, la rage constante de Do-cheol sert toujours de ressort comique et même dans les pires moments de tension, Ryoo injecte une part de légèreté avec un grand sens du mélange des tons. Pourtant, VETERAN 2 n’a pas la décontraction cool de son aîné et se révèle même profondément inquiet. Réflexion sur la violence de la société coréenne et l’impuissance grandissante des héros à la canaliser, VETERAN 2 embrasse une esthétique qui reflète ses peurs – au point de se dérouler quasiment entièrement de nuit. La lumière, remarquablement travaillée, rappelle SEVEN et le travail de Darius Khondji, tandis que l’usage répété du split diopter engendre des cadrages étranges et ombrageux. Les bastons se succèdent, toujours virtuoses, bourrées d’idées de cinéma (celle sous la pluie impressionne), mais surtout d’une brutalité doloriste (celle située dans des escaliers fera rougir de honte JOHN WICK 4), tandis que Do-cheol lance, ulcéré : « Are you delighted ? », comme Maximus aurait lancé « Aren’t you entertained ? ».

De par la rigueur de son écriture et de sa mise en image, mais aussi la profondeur de l’interprétation – le Do-cheol de Hwang Jung-min n’est jamais monolithique –, VETERAN 2 se hisse largement au-dessus de la plupart des productions d’action coréennes et hollywoodiennes. Mais pour qui a vu VETERAN, cette suite révèle forcément une plus grande richesse : elle témoigne autant de l’évolution de Ryoo en tant qu’homme et cinéaste, que celle de son personnage, que de tout un genre qui, ici, réfléchit à sa responsabilité quant aux images qu’il crée.

Partagez cette chronique sur :
Sortie : Prochainement
Réalisateur : Ryoo Seung-wan
Avec : Hwang Jung-min, Jung Hae-in, Oh Dal-su
Pays : Corée du Sud
Durée : 1h59
Partagez cette chronique sur :

Découvrez nos abonnements

En formule 1 an ou en formule 6 mois, recevez Cinemateaser chez vous !