Cannes 2024 : HORIZON

03/07/2024 - Par Emmanuelle Spadacenta
En voulant conjuguer cinéma et série sous la grande bannière fourre-tout de "saga", Kevin Costner se fourvoie et livre un film pas fini, monté en dépit du bon sens.

Récemment, Kevin Costner a renoué avec le public grâce à la série YELLOWSTONE et ça lui a peut-être un peu tourné la tête. Tempête sous un crâne : comment connaître sur grand écran le succès que ce nouveau média lui a apporté, tout en renouant avec le cinéma épique et classique qui l’a imposé ? Comment ramener à lui, le dinosaure du western, tout un public, plus jeune notamment, rompu au binge-watching et aux récits au long cours, saucissonnés en saisons ? Kevin Costner ne trouve aucun résultat satisfaisant à cette équation parce qu’elle est inextricable. Sa grande saga HORIZON, découpée en une tétralogie de longs-métrages, a été conçue comme une minisérie de quatre épisodes. Le premier film – seule partie qu’il nous a été donné de voir – dure trois heures et, pétri de complaisance, n’a jamais l’efficacité des bons pilotes. On y présente par le menu une foultitude de personnages – celui de Kevin Costner n’arrive qu’au bout de 90 minutes –, chacun bien confiné dans une storyline qui ne trouvera aucune conclusion au bout de 172 minutes. Aucune d’entre elles, même celles aux postulats les plus prometteurs (on pense à celle de Jena Malone, femme battue qui s’enfuit en laissant son amant pour mort), ne jouit d’un développement digne de ce nom. Des personnages sont abandonnés à leur sort au beau milieu du récit. Peut-être reviendront-ils dans HORIZON 2, 3 ou 4, mais en l’état, le film HORIZON 1, qui n’en est pas un, est infoutu de gérer ses sous-intrigues correctement. Pire : Kevin Costner, perdu entre le concept de saga, le potentiel de franchise et l’attrait commercial de la série, ne prend même pas la peine de boucler HORIZON avec un cliffhanger. Ne trouvant dans ce marasme aucun twist, aucun moment-clé pour conclure son premier récit, il parvient à une solution cache-misère en enchaînant, en fondu, le récit principal à une longue bande-annonce pour les prochains épisodes. Autre symptôme d’une confusion générale entre les formats et aberration d’une époque qui ne comprend plus ce qu’est le cinéma : sous la houlette de Warner dont les exécutifs voudraient tout envoyer sur les plateformes si possible, Kevin Costner fait une croix sur le scope et filme son western dans un « format télé ». Les scories du numérique ont remplacé la beauté de la pellicule. RIP le souffle épique.

En courant en vain après la modernité et les goûts actuels, Costner abîme le classicisme qui a fait la beauté de ses films. Jamais HORIZON ne semble aussi lisible que DANSE AVEC LES LOUPS, par exemple. Il multiplie les fautes techniques : au-delà du format et du grain qui semblent antinomiques avec l’entreprise, pullulent les maladresses de montage qui engendrent une grande confusion sur le passage du temps. Ainsi, une jeune veuve (Sienna Miller, le grand atout du film), traumatisée par une attaque ultraviolente d’Amérindiens qui lui a enlevé un mari et un fils, ne met pas une heure pour flirter avec un lieutenant de la cavalerie. Combien de jours, de semaines ou de mois se sont écoulés entre la puissance de son deuil et sa résilience ? Impossible de le dire. À l’écran, c’est en un clin d’œil. Il en va de même de toutes les sous-intrigues qui semblent stagner dans le temps tout en trahissant une progression psychologique ou géographique des personnages. On ne serait pas étonnés d’apprendre qu’un grand charcutage du director’s cut a été orchestré par la major et que l’enchâssement des storylines ait suivi d’autres agendas que celui de la logique du récit.

La déception est proportionnelle aux réussites du film. Elles sont rares mais prodigieuses. Tôt, l’attaque d’un village de pionniers par des Amérindiens, brutale, sanglante, sidère. Elle brasse une imagerie si familière du western, tout en la dynamitant par la terreur, que le film peut difficilement s’en relever. Car elle permet en plus d’autres images fantastiques – un jeune garçon au galop poursuivis par deux Amérindiens qui veulent sa peau, dans une nuit profonde. Il y a là la réification au premier degré d’un genre qui est, depuis des années, déconstruit. L’entreprise touche à quelque chose de fondateur dans la cinéphilie, jusqu’à malheureusement la perpétuation des clichés – le film manque terriblement de perspective sur l’Amérique et son Histoire, n’hésitant jamais à plaquer « Amazing Grace » sur des images de Grand Ouest ou à stigmatiser les scalpeurs de blancs, préférant les Indiens modérés qui parlent anglais. Encore une fois, on aimerait savoir si tout ce patriotisme anachronique sera questionné plus tard ou si le ton est déjà là – le massacre d’une tribu par des Blancs, plus tard dans le film, tend à équilibrer les points de vue et présage d’une vision plus juste du roman américain. Ainsi nous tarde-t-il de voir la suite qui, de toute façon, ne pourra qu’entériner la défaite de ce récit parcellaire vendu comme un long-métrage. 

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Sortie : 03.07.24
Réalisateur : Kevin Costner
Avec : Kevin Costner, Sienna Miller, Sam Worthington, Abbey Lee
Pays : États-Unis
Durée : 2h52
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