Cannes 2024 : FURIOSA
FURIOSA conjugue deux notions foncièrement contraires : le prequel de FURY ROAD se propose d’être à la fois similaire et radicalement différent. FURY ROAD plongeait le spectateur dans le vif de son sujet, sans prendre réellement le soin de l’exposition – et pour cause : il s’agissait du quatrième volet de la franchise MAD MAX. FURIOSA décide de rappeler qu’il évolue dans un monde post-apocalyptique et de revenir rapidement en arrière. Certes, il ne le fait que succinctement, en off, durant le générique. Mais parce qu’il donne à entendre notre monde s’effondrer, FURIOSA impose immédiatement une tout autre nature : il se fait plus traditionnellement narratif. Son premier acte et une bonne partie de son deuxième, ainsi, posent et développent des enjeux, définissent les personnages, leurs traumas et leurs interactions, créent de la dramaturgie et des thématiques afférentes. Et le fait bien : Miller ne réinvente pas la roue de sa saga, mais il crée des protagonistes immédiatement intéressants à regarder évoluer et une histoire captivante à suivre. Bien sûr, comme souvent dans MAD MAX, la caractérisation et la progression de l’intrigue se font en partie par l’action – on pense à ces femmes, dont Furiosa est une descendante, Amazones apocalyptiques, qui traquent les motards à cheval ou à ces motards justement, qui s’accrochent encore au pétrole, et dont les caractéristiques clownesques en disent plus que de longs discours sur ce que Miller a à raconter sur les hommes, la virilité et ses attributs. Pourtant, même si FURIOSA n’est pas aussi prolixe que TROIS MILLE ANS À T’ATTENDRE, il l’est considérablement plus que FURY ROAD. Un verbe principalement porté par le personnage de Dementus, showman plus grand que nature, sorte de G.O. de l’Apocalypse qui assume d’être perpétuellement en représentation pour assurer sa survie, qu’il conduise son char de motos ou qu’il harangue les foules au micro. Un vilain incarné avec beaucoup de cœur par un Chris Hemsworth extrêmement habile pour danser sur la ligne du camp et qui, autant par son nom que par son trauma fondateur, n’est ni plus ni moins qu’une variation maléfique de Mad Max lui-même. À travers lui, George Miller travaille un des piliers essentiels de FURIOSA : l’artificialité poussée à son paroxysme. En cela, il s’inscrit davantage dans la lignée de TROIS MILLE ANS À T’ATTENDRE que de FURY ROAD qui, en dépit de son usage intensif des CGI et d’un ton volontairement excessif, misait sur un rendu organique. FURIOSA met également en scène, avec le même brio ébouriffant, de longues scènes d’action parfaitement lisibles. Mais ici les saillies expressionnistes à base de monochromes se font plus fréquentes. Les effets numériques plus volontairement visibles. Les postiches et les prothétiques plus voyants. Loin d’établir une gêne ou une distance, FURIOSA gagne là en identité. Même si elle n’amoindrit jamais les élans primitifs du film, l’artificialité apparaît comme un voile, obligé de venir filtrer l’horreur en jeu et la rage qu’elle engendre chez Furiosa et Dementus. Ici, l’organique serait sans doute impossible à supporter. Émerge de ce travail une émotion, insoupçonnée au départ. À mesure que le récit avance, FURIOSA, peut-être encore davantage que les précédents volets de MAD MAX, s’impose en vision monstrueuse, déformante et grotesque, du monde tel qu’il existe déjà – masculin, aberrant, oppressif, irrespectueux de la vie. Et comme l’exploration désespérée du deuil impossible de tout ce que l’Apocalypse (ou la mort, ou l’oubli) nous prend.
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Réalisateur : George Miller
Avec : Anya Taylor-Joy, Chris Hemsworth, Tom Burke
Pays : États-Unis / Australie
Durée : 2h28