Cannes 2024 : EAT THE NIGHT
Il y avait tout pour faire de EAT THE NIGHT un grand film générationnel. En tout cas sur le papier. Un duo de réalisateurs chic au style affirmé pour un mélange de réalisme social et d’imaginaire numérique. Tout ça sur fond de relation mélancolique entre un frère et une sœur. Un cocktail hyper contemporain qu’on aurait aimé déguster très frappé. Mais dont finalement ne reste que l’amertume d’un mélange pas tout à fait en osmose. Dans une banlieue anonyme, Pablo initie sa jeune sœur Appolline à Darknoon, sorte de méta-verse d’héroïc-fantasy. Tandis que le jeu annonce sa prochaine fermeture, Pablo, petit trafiquant, rencontre Night, un jeune homme discret. Et tout va mal tourner. L’univers est là, évident. Poggi & Vinel ont un vrai talent pour fabriquer une esthétique à la Grégory Crewdson où tout semble nappé d’une brume mélancolique. Des adolescents paumés, un centre-ville désuet, un jeu vidéo sur-éclairé, tout fonctionne comme en décalé dans cet univers au bord du monde. Et indéniablement, l’effet hypnotique de cette photo très contemporaine est là. Il ne se passe pas grand-chose dans EAT THE NIGHT, tout du moins au début, et pourtant on ne peut détacher les yeux de l’écran. Quelque chose vibre dans la mise en scène, dans le jeu très brut des acteurs, qui donne le sentiment qu’un mystère se cache dans l’image.
Mais déjà, très vite, quelque chose divague. Le frère et la sœur ne semblent pas vraiment appartenir au même film, comme si l’une attendait l’autre de revenir au récit principal. Pablo s’échappe, tombe amoureux et le film de dériver vers une sorte de fièvre, de frénésie déroutante. Multipliant les scènes de sexe, Poggi & Vinel fantasment ces corps masculins qui s’emboîtent, semblent vouloir déconstruire les clichés de la virilité en jouant une sorte de contraste entre la violence des gangs et la sensualité des corps à corps. Théoriquement passionnant, à l’écran très vite redondant. Même chose avec le film de gangster, ici fantasmé dans une banlieue anonyme. Au-delà de l’imagerie souvent étonnante, le film peine à vouloir vraiment raconter. On s’accroche alors au personnage de Night, excellent Erwan Kepoa Falé, peut-être le seul à exister un peu plus que les autres, pour tenter de ne plus simplement être spectateur de ces images mais les vivre. Mais le récit part dans le décor – très beau d’ailleurs, de Darknoon – et veut soudain raccrocher les wagons émotionnels. Trop tard. Il se joue bien là, dans ces images léchées, dans ce numérique sur-coloré quelque chose d’un adieu à l’enfance, d’une tristesse insondable, d’une solitude urbaine qui ne franchit jamais l’écran pour arriver jusqu’à nous. C’est frustrant car Caroline Poggi et Jonathan Vinel ont un talent fou. Mais pour l’instant, leur cinéma fabrique des images, à défaut de les habiter.
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Réalisateur : Caroline Poggi et Jonathan Vinel
Avec : Théo Cholbi, Lila Gueneau, Erwan Kepoa Falé, Mathieu Perotto
Pays : France
Durée : 1h45