BUGONIA

26/11/2025 - Par Renan Cros
Yorgos Lanthimos remake une folie coréenne en un méchant film tranchant. Une fable sur le conspirationnisme et le cynisme qui déroute pour le meilleur et pour le pire.

De film en film, Yorgos Lanthimos s’est taillé « un nom au-dessus du titre » comme le disait Frank Capra. Une façon d’être quasi plus célèbre, plus attendu, que le film lui-même. Le « nouveau Lanthimos », donc, file dans la droite lignée des précédents : raideur kubrickienne, ironie à tiroirs et performances d’acteurs. Le cinéaste a l’art de tenir fermement une forme au cordeau et un fond trouble ensemble, pour mieux créer un cinéma joyeusement inconfortable. Et en termes de malaise, BUGONIA tient la corde avec le déjà bien barjo MISE À MORT DU CERF SACRÉ, son thriller familial apathique et sanglant qui réglait son compte à la famille américaine. Ici, c’est plutôt à la folie du monde que Lanthimos s’attaque. Le sentiment d’injustice, la colère des laissés-pour-compte, l’éco-anxiété qu’il confronte au cynisme des puissants. Sauf que Lanthimos oblige, rien n’est si simple. Car l’incarnation de nos inquiétudes sur le monde sont aussi deux idiots, complètement frappés, persuadés que la source de tous les maux est une invasion extraterrestre secrète. Teddy et Don kidnappent alors Michelle Fuller, boss d’un grand groupe pharmaceutique, bien décidés à lui faire avouer qu’elle vient d’une autre planète. Ce qui pourrait être une intrigue à la frère Coen, un kidnapping de bras cassés, devient chez Lanthimos quelque chose pas loin du FUNNY GAMES de Haneke. Soit un tête-à-tête oppressant, entre tortures et joutes verbales, où l’on finit par se demander si ce n’est pas nous, les otages soumis à l’interrogatoire du film. Jouant avec les limites de l’empathie, poussant le spectateur dans ses retranchements, BUGONIA est une farce dont il faudrait rire. Vraiment ? Là où SAVE THE GREEN PLANET !, le film original, avait la folie clownesque du cinéma coréen, une façon ultra romanesque de faire décoller le film vers l’absurde qui permettait la distance salvatrice et comique de la fiction, ici Lanthimos pratique l’humour comme une thérapie de choc. Dans la lignée de KINDS OF KINDNESS, BUGONIA grince, gratte, horripile, agresse comme une façon de raconter le monde. La performance hallucinée de Jesse Plemons en taré pathétique et d’Emma Stone en femme d’affaires cynique font indéniablement le show. Mais c’est celle d’Aidan Delbis, kidnappeur malgré lui, qui rend le film si étrange. Car au-delà de la folie de son conspirationniste pathétique, au-delà des sarcasmes jubilatoires de son héroïne, seule la peur de la solitude de cet homme-enfant sait nous émouvoir. Le signe peut-être, aujourd’hui, que nos vies de spectateurs ont besoin, derrière le brio, d’un peu de douceur dans ce monde de brutes.

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Sortie : 26.11.25
De : Yorgos Lanthimos
Avec : Emma Stone, Jesse Plemons, Aidan Delbis, Alicia Silverstone
Pays : États-Unis
Durée : 1h56
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