À FEU DOUX

Dans une routine légèrement chamboulée, Ruth se prépare. Cet espace, sa maison, elle le connaît par cœur. Mais aujourd’hui est un jour spécial. Elle a un rendez-vous galant. Élégante, elle goûte une dernière fois ce repas qu’elle a préparé avec une pointe d’excitation pour recevoir ce beau jeune homme. Sauf que l’individu en face d’elle n’est pas un inconnu. C’est son fils. Et il n’est pas là pour la séduire mais pour l’emmener dans un Ehpad. Octogénaire à la mémoire percée, Ruth s’apprête à entrer dans une nouvelle étape de sa vie. Loin des drames déchirants sur le corps et l’esprit qui se délitent, Sarah Friedland secoue les films sur les personnes âgées en proposant un coming of « old » age galvanisant. En évitant les stéréotypes sur la vieillesse, qui vont de la Mamie Gâteau éteinte à la Tatie Danielle délurée, elle propose le portrait d’une femme à un moment charnière de sa vie. Comment accepter l’aide dont on a besoin quand on a toute sa vie été une femme indépendante ? En parallèle, la réalisatrice, qui a travaillé comme aide-soignante auprès de personnes âgées à la mémoire déficiente, fait avec À FEU DOUX un manifeste anti-âgisme bouleversant. Ruth n’est pas une autre personne maintenant qu’elle est vieille, elle est, au contraire, toutes les femmes qu’elle a été au cours de sa vie, en même temps, successivement, aléatoirement. En choisissant de filmer son héroïne avec précision, s’attardant sur le moindre de ses gestes, Sarah Friedland démontre avec finesse que la vie ne s’arrête pas au moment où la société a décidé que l’on n’était plus productif. Désirer, séduire, travailler, créer, penser – et ce malgré les difficultés inhérentes aux pathologies du grand âge –  sont au programme de cette Ruth en pleine apprentissage. Car, oui, être vieux, c’est aussi quelque chose qui se découvre et s’explore.