A BIG BOLD BEAUTIFUL JOURNEY

01/10/2025 - Par Renan Cros
Après la SF pour raconter le deuil dans AFTER YANG, Kogonada décape à nouveau les genres et réinvente la romcom par la psychanalyse. Une odyssée amoureuse, comme un voyage de cinéma.

Le premier rendez-vous est un art. Délicat, périlleux, fragile. Que dire de soi ? Qu’attraper de l’autre ? Et si c’était le début d’une grande histoire ? Ou juste, un mauvais moment à passer ? Souvent la comédie romantique a magnifié ça en fameux « Meet Cute », sorte de raccourci gniangnian à base de coup de foudre maladroit, de regard gêné et de « happy ever after », qui ont rendu nos vies bien fades à comparer. Aimer l’autre, c’est porter ses fardeaux, nous dit A BIG BOLD BEAUTIFUL JOURNEY. Sarah et David (Margot Robbie et le toujours parfait Colin Farrell) se croisent à un mariage. Et dans un film comme un autre, on aurait tricoté tout un tas de répliques charmantes, de situations incongrues pour nous raconter comment ces deux-là vont s’aimer. Pas chez Kogonada. Quelque part entre le réalisme magique et le méta-film, son projet tient ici d’un habile jeu entre l’émerveillement et la lucidité. Nos deux apprentis tourtereaux embarquent à l’aide d’un improbable GPS sentimental le long d’une route qui va les mener à des portes ouvrant sur leurs traumatismes. Des moments de leurs vies, tragiques, drôles, anodins qui racontent qui ils sont. Comme si soudain ce premier rendez-vous ouvrait une boîte de Pandore intérieure où l’on se disait tout. Un postulat fantastique qui tient, par la mise en scène précise et inventive de Kogonada, du dispositif cérébral, de la proposition presque expérimentale d’un film où le cinéma et la psychanalyse se confondent. Comme dans AFTER YANG, Kogonada ne s’embarrasse pas de justifier le genre, il impose des mondes, des espaces et nous demande de croire, de se laisser emporter par une succession d’instants qui naviguent entre les tonalités. Ce que vont se raconter Sarah et David le long de ce trajet, de porte en porte, de souvenir en souvenir, n’a rien d’exceptionnel. Les blessures d’enfant, les regrets d’adulte, la peur de l’engagement, les fractures invisibles des mots prononcés ou pas entendus, le bagage trop lourd d’une vie. Mais la beauté de ce film étrange tient justement à la façon qu’a Kogonada de déplier l’intime comme un spectacle, de fabriquer un film de pur cinéma qui n’a peur ni des effets, ni des émotions pour raconter quelque chose qui se passe de mots. Une sorte de lucidité douloureuse pour ces deux personnages cabossés que Kogonada filme, soudain épuisés, sur le sol vide d’un studio de cinéma. Traversant les genres, entre comédie musicale, mélo et film d’auteur, A BIG BOLD BEAUTIFUL JOURNEY parle des rôles que l’on joue, des histoires qu’on se raconte pour tenir debout. Avec le cinéma et la fiction comme seuls moyens de sublimer et de tout supporter.

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Sortie : 01.10.25
De : Kogonada
Avec : Margot Robbie, Colin Farrell, Phoebe Waller-Bridge, Kevin Kline
Pays : États-Unis
Durée : 1h48
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