LOS TIGRES

Dans certains genres, dont le thriller et le polar, l’intrigue apparaît souvent un peu bêtement comme l’alpha et l’oméga. Une prétendue règle que le cinéaste espagnol Alberto Rodriguez contredit brillamment avec LOS TIGRES. Ce qui l’intéresse et ce qui passionne le spectateur réside ici tout simplement ailleurs, dans des éléments moins triviaux que l’efficacité, les rebondissements et le suspense. Estrella, malentendante depuis un vieil accident de plongée, et son grand frère Antonio, sont des enfants de la mer. Elle est biologiste mais, en recherche d’emploi, assiste son frangin scaphandrier. Un passionné de son métier qui, chaque jour, risque sa vie pour connecter les super tankers pétroliers aux réservoirs d’un port espagnol ou pour assister la police dans des recherches de disparus. « J’ai passé ma vie sous l’eau. Dehors, je suis perdu », dit-il. Ce monde mystérieux donne lieu à des séquences sous-marines irrespirables, captivantes, fortes d’une mise en scène dénuée de spectacularisation à outrance mais sèches comme le danger qui plane sur Antonio. Rodriguez n’a pas besoin d’en rajouter : il sait la fascination immédiate que ces images inédites suscitent. La sensation de découvrir tout un univers jusqu’alors inconnu happe instantanément. Après ce premier acte tout en errements, à la tension quasi contemplative, vient la mise en place d’une véritable intrigue. En manque d’argent pour payer son divorce, Antonio échafaude avec Estrella un casse simple mais très risqué : voler toutes les trois semaines un peu de la cocaïne qu’un cargo fait entrer dans le port en la dissimulant dans ses cales immergées. Les multiples séquences de « braquage », filmées depuis un unique point de vue (sous l’eau ou sur le pont du bateau), prouvent une nouvelle fois le savoir-faire de Rodriguez mais leurs conséquences peinent à surprendre. Pourtant, peu importe, car le thriller est finalement ailleurs : dans le poids de la fatalité qui pèse sur Antonio et Estrella, personnages tragiques abîmés presque involontairement par leur père, et surtout dans la tension que créent les casses entre le frère et la sœur. Ces personnages écrits avec un soin méticuleux, superbement incarnés par Bárbara Lennie et Antonio de la Torre, ne tombent dans aucun cliché, aucune émotion facile. Tout juste affrontent-ils la vie ensemble, avec tout ce qu’elle implique de difficultés et de désaccords. Les voir batailler contre le monde, se déchirer mais s’aimer malgré tout fait de LOS TIGRES un thriller d’une grande singularité, de ceux qui marquent pour avoir su dépasser les codes et attentes du genre.