JAY KELLY
JAY KELLY s’ouvre sur une citation de la romancière et poétesse américaine Sylvia Plath rappelant la difficulté d’être soi-même et l’aisance, bien plus grande, à devenir quelqu’un d’autre. Jay Kelly abonderait en son sens lui qui assure que « tous ses souvenirs sont des films ». Quoi de plus normal pour cet acteur devenu superstar ? Sa vie est plus grande que la vie, jusqu’à l’absurde : dans un excellent gag récurrent, on lui apporte une boisson dès qu’il prétend à sa fille que « si, absolument », il sait être par lui-même. Cette idée d’existence-cinéma, Noah Baumbach la réifie dans une superbe première scène où sa caméra se balade sur un plateau avant une prise, finit par se caler sur Jay et sur un décor qui, de visiblement factice, se fait tangible. Le mouvement chaotique de la vie mue en cadre ordonné de cinéma, l’artifice devient image puis réalité. Durant 132 minutes sans doute superfétatoires, Baumbach va toujours plus loin dans ce mouvement pour transmettre le sens de la vie de Jay Kelly. Le film se déploie ainsi comme un jeu de références – l’idée d’une personnalité à qui on rend hommage renvoie aux FRAISES SAUVAGES de Bergman –, puis de reddition totale au CINÉMA – oui, en majuscules. Ainsi JAY KELLY embrasse joyeusement, avec tous les excès possibles, du plus amusant au plus usant parfois, l’apparat de la comédie italienne. Mais aussi dans un mouvement gigogne malin et touchant, celui du cinéma d’auteur américain qui joue à se croire européen – images d’Épinal incluses. Ainsi Jay Kelly part sur le vieux continent pour tenter de passer du temps avec sa fille cadette et, allez savoir, accepter cet hommage que veut lui rendre un festival transalpin. Dans le train qui le mène de Paris en Toscane, il charme tout le monde, devise avec ses fans, le sourire – qu’il a très beau – aux lèvres, dodelinant comme a l’habitude de le faire son interprète, George Clooney. Car c’est bien de ça dont il s’agit : de George Clooney et plus largement de l’attrait suranné de ces dernières stars à l’ancienne, qui ne bradent pas leur mystique sur Instagram, que l’on « connaît » grâce aux rôles qui ont marqué nos vies de spectateurs. Avec élégance, Clooney fait du Clooney au carré et forme avec Adam Sandler, bouleversant en agent (trop) dévoué, un duo en parfaite alchimie, rappel que les films de Noah Baumbach s’envolent lorsqu’ils s’abandonnent au sentiment. À mesure qu’émergent les regrets, les choses inachevées et perdues – splendide séquence de coup de fil de Jay à sa fille aînée –, la mélancolie du souvenir, restera toujours l’essentiel : au cinéma, au moins, une prise ratée peut toujours être rejouée.
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De : Noah Baumbach
Avec : George Clooney, Adam Sandler, Laura Dern, Billy Crudup
Pays : États-Unis
Durée : 2h12
