AFTER THE HUNT
Avec Guadagnino, les films s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Un peu comme son mentor et idole, Rainer Werner Fassbinder, le cinéaste italien est en train de construire une œuvre comme une « comédie humaine ». Armé de son sens du style et de cette façon si rare de faire du cinéma moral, jamais moralisateur, le cinéaste filme depuis AMORE les mécaniques du désir comme un entomologiste. Hédoniste (CALL ME BY YOUR NAME), sublimée (CHALLENGERS), dévorante (BONES AND ALL, SUSPIRIA) ou carrément mortifère (QUEER), cette cartographie du désir s’aventure avec AFTER THE HUNT du côté de la zone grise. Pour la première fois peut-être, le cinéaste italien connecte ses images directement à notre époque. Dans une université chic américaine, Alma Olsson (grand retour de Julia Roberts, parfaite) impressionne ses étudiants par ses cours de philosophie pointus. Et tandis qu’elle brigue avec son collègue et ami Henrik un poste important, sa protégée Maggie (Ayo Edebiri) débarque un soir chez elle, apeurée. Il s’est passé quelque chose de grave avec Henrik (Andrew Garfield)… À partir de ce sujet douloureux, le scénario de Nora Garrett va s’ingénier à creuser un vertige. Celui d’une époque où le savoir est une arme, où parler ou se taire devient un enjeu moral et politique. Tandis qu’Henrik nie et accuse Maggie de vouloir lui nuire, Alma, elle, vacille petit à petit, comme rongée par quelque chose. Et c’est là où tout le génie de Guadagnino rentre en scène. Car sa réalisation, ultra précise, cadre, découpe et donne toute son ampleur à ce récit mal-aimable, parfois nébuleux, d’une femme qui va se noyer dans ses propres zones d’ombre. Appuyant par petites touches sur la satire du milieu intellectuel, si sûr de lui, jouant sur des notes de thriller sans jamais plaquer les accords attendus, AFTER THE HUNT nous fait vivre et ressentir la bascule d’un monde où l’intime et le public se confondent et la vérité est devenue floue. Ne reste alors que la mise en scène de soi, la victoire de celui qui détient le droit de raconter. Loin d’être le film anti #MeToo auquel on voudrait l’assimiler, AFTER THE HUNT est au contraire un état des lieux inquiet. Le face-à-face entre le personnage d’Ayo Edebiri et celui de Julia Roberts raconte deux générations de femmes. Tandis que l’une va utiliser cette parole comme un moyen de prendre le pouvoir, l’autre se détruit par son silence. Lorsque le film abat ses dernières cartes, qu’il ose mettre la lumière sur tout ce qui se tapissait dans l’ombre, ne reste alors sur l’écran que les victimes exsangues de la violence du désir. Culminant dans un épilogue ironique, AFTER THE HUNT n’est pas aimable, ni même simple d’accès. Il demande la patience passionnante de le laisser s’expliquer.
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De : Luca Guadagnino
Avec : Julia Roberts, Ayo Edebiri, Andrew Garfield, Michael Stuhlbarg
Pays : États-Unis
Durée : 2h19
