KIKA
Kika, assistante sociale, perd son mari, le père de sa fille, alors qu’elle est enceinte. Au moment du drame, elle entretenait une liaison avec un réparateur de vélos, écart surprenant pour cette jeune femme rangée, responsable. C’est la galère : impossible de garder le logement, ni de vivre de son petit salaire. Comme les cordonniers, pas les mieux chaussés, elle n’obtient pas d’aide et n’en demande pas. Comment celle qui a tant épaulé s’est-elle retrouvée soudain à la place de la désœuvrée ? Quand la vie n’est pas facile, il y a une solution : la débrouille. Kika va se mettre à vendre ses culottes sales sur le darkweb à des pervers. Qui aiment quand on leur parle mal. D’abord embarrassée par des situations inédites et gênantes – qui prêtent franchement à rire –, elle en prendra finalement son parti. L’humain est fait de kinks un peu extravagants : il y a un marché. Ainsi devient-elle dominatrice, une autre manière, plus stigmatisante mais non moins utile, d’être une assistante sociale. C’est à partir de ses propres peurs, ses propres projections et ses propres connaissances qu’Alexe Poukine a tricoté ce portrait de femme a priori subversif qui nous en apprend beaucoup sur nos préjugés. Car dans ce milieu BDSM, la novice est formée par des femmes très claires sur ce qu’elles sont, ce qu’elles font et sur le rôle qu’elles jouent pour la société. Il y a une mise en danger, c’est vrai – être le fantasme sexuel d’un homme reste un rôle périlleux – mais elles ne se victimisent jamais, là où on a tendance à voir les travailleuses du sexe comme soumises et esclaves de leur métier. Alexe Poukine ne nie pas la dimension quasi maternelle de leur fonction, c’est incommodant mais c’est la vérité. Cependant, la réalisatrice se garde bien de tout jugement moral envers elles, ou envers leurs clients. Faut-il même beaucoup de courage pour soigner ses blessures par une pratique largement réprouvée par la société. Si le film se présente comme une comédie dramatique bourgeoise, voire parfois une franche comédie, c’est pour mieux masquer ses intentions plus sociologiques et anthropologiques. Kika pensait avoir tout vu de la détresse humaine depuis son bureau d’assistante sociale, elle pensait avoir atteint les limites de l’aide qu’elle pouvait apporter. Elle découvre en fait que le lien humain est parfois plus tordu, plus retors. Le fait qu’elle soit jouée par Manon Clavel, petit gabarit aux traits délicats, qui cache une voix grave et un charisme d’enfer, prouve bien que les apparences, ce ne sont que les apparences et qu’appartient aux films de louer les complexités qui font la richesse de ce que nous sommes.
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De : Alexe Poukine
Avec : Manon Clavel, Makita Samba, Ethelle Gonzalez Lardued, Suzanne Elbaz
Pays : Belgique
Durée : 1h48
