LES TOURMENTÉS
Ancien légionnaire et « contractant » en Irak, Skender (Niels Schneider), diminué par un PTSD, s’est peu à peu marginalisé, même s’il tente de garder un contact – souvent difficile – avec Manon (Déborah François) son ex-femme, qu’il aime toujours, et leurs deux fils. Il est bientôt retrouvé par Max (Ramzy Bedia), ancien frère d’armes devenu homme à tout faire pour « Madame » (Linh-Dan Pham). Max a une proposition pour Skender : devenir le gibier de cette grande amatrice de chasse pour qui les animaux sauvages ne sont plus des proies suffisamment intéressantes… Ce pitch offrait une voie toute tracée pour un récit de survie dans la confrontation. Mais Lucas Belvaux ne réalise absolument pas le film que l’on pourrait attendre. Et tant mieux, car ce qu’il propose est probablement bien plus réjouissant, audacieux et tordu. Ce que filme le cinéaste dans LES TOURMENTÉS, c’est l’avant : la préparation à la chasse. L’entraînement de Madame et de Max. Le lâcher-prise de Skender, qui utilise ces trois mois de répit pour profiter de son argent et des opportunités de rédemption maritale et paternelle qu’il lui procure. Dans cette attente émergent toutefois déjà de la tension et une grande violence. Car Lucas Belvaux étant Lucas Belvaux, LES TOURMENTÉS dissèque les rapports humains qui se jouent là, feutrés mais déjà funestes et maltraitants, où tout n’est que transaction pour ceux qui ont de l’argent. C’est toute la complexité du film de le montrer, y compris lorsque Skender, avec amour et bienveillance, peut se payer une nouvelle vie le temps de quelques semaines et offrir peut-être un futur plus lumineux à sa femme et à ses fils. LES TOURMENTÉS atteint des sommets de sophistication à mesure qu’il déjoue les attentes du spectateur, tant sur la direction que prend le récit que sur les personnages – ainsi, Max, magistralement campé par Ramzy Bedia, n’est-il pas celui qui bouleverse le plus, traînant sa lourde carcasse d’ex-soldat qui, grâce à l’embourgeoisement, se paie une éducation qu’il n’a jamais eue ? Et Lucas Belvaux de fixer droit dans les yeux les limites de chacun, leurs peines et leur réaction au mal, cette manière perverse qu’ont les choses de transformer les victimes en bourreaux – et peut-être même inversement. Le tout porté par une mise en scène diablement évocatrice, extrêmement troublante, où le passé, le présent et d’hypothétiques futurs se croisent et s’entremêlent grâce à un montage incisif. Rares sont les films français au potentiel populaire à être aussi follement étranges, à refuser avec autant de poigne d’offrir toutes les clés pour les décoder sur l’instant.
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De : Lucas Belvaux
Avec : Niels Schneider, Ramzy Bedia, Linh-Dan Pham, Déborah François
Pays : France
Durée : 1h53