Cannes 2025 : LOVE ON TRIAL
Après l’amour bousculé par les drames de la vie dans LOVE LIFE, Koji Fukada raconte l’amour empêché par une culture populaire alimentée au patriarcat dans LOVE ON TRIAL. Mai est une « idole », terme qui au Japon désigne des célébrités, souvent féminines, fabriquées par un système qui les utilise à des fins purement commerciales et pour satisfaire des fans, souvent masculins. Chanteuses au sein de Happy Fanfare, groupe de J-Pop qui peine à décoller, Mai et ses quatre comparses doivent se plier à tous les ordres de leur management et aux désirs de leur public. Ainsi donnent-elles du leur après chaque concert pour rencontrer, en file indienne, leurs admirateurs ; ou passent-elles leurs soirées à des streams censés booster leur popularité – là, Fukada regarde la manière dont la culture des Idoles, nées dans les années 1960, est réinventée à l’ère des réseaux. La machine Happy Fanfare s’enraye quand Mai tombe amoureuse de Kei, un mime de rue, alors que son contrat stipule avec fermeté qu’elle ne peut entretenir aucune relation amoureuse afin de ne pas s’aliéner le public… Bien que jamais dépourvu d’émotions, au contraire, le cinéma de Koji Fukada préfère toujours la distance à l’effusion. Un ADN qui convient parfaitement à LOVE ON TRIAL puisqu’il lui permet de disséquer avec une froideur chirurgicale particulièrement frappante le système des idoles et ce qui le sous-tend : le patriarcat à la japonaise. Avec sa rigueur habituelle – plans longs qui laissent s’installer la vie et la dramaturgie, découpage clair, images naturalistes dont émerge une grande poésie – Fukada déconstruit brique par brique l’entreprise d’infantilisation de ces jeunes femmes à qui l’on nie toute possibilité d’affirmer une personnalité – « Je ferai tout pour être celle que vous avez toujours voulu voir en moi », assure à ses fans une des chanteuses de Happy Fanfare lors d’un stream. Puis à qui l’on refuse tout simplement la liberté d’être des femmes comme les autres : asservies à un statut fantasmatique de pureté et d’innocence en réalité hypocritement sexuel, elles servent les convoitises d’hommes filmés par Fukada comme des silhouettes immatures rongées par une admiration fascisante et violente. Ainsi à l’écran se forme un contraste saisissant entre la vitrine – une pop sucrée, lumineuse et colorée qui chante l’amour – et la réalité – un quotidien d’ouvrière du divertissement morne et triste. Le cinéaste japonais n’aime toutefois pas la fatalité et offre à Mai la chance de se battre dans une deuxième partie en forme de procedural judiciaire, comme une voie à suivre contre les mécanismes d’oppression. Très fort.
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Réalisateur : Koji Fukada
Avec : Saito Kyoko, Yuki Kura, Kenjiro Tsuda, Erika Karata
Pays : Japon
Durée : 2h03