Cannes 2025 : HIGHEST 2 LOWEST

21/05/2025 - Par Emmanuelle Spadacenta
Spike Lee porte « King’s Ransom » d’Ed McBain à l’écran, plus de 60 ans après sa première adaptation, l’inégalable ENTRE LE CIEL ET L’ENFER d’Akira Kurosawa. Pas une grande réussite.

Puisque le succès le plus franc des Afro-américains concerne la musique aujourd’hui, Spike Lee resitue l’histoire de kidnapping écrite par Ed McBain en 1959 dans ce milieu si lucratif, faisant de David King, le protagoniste, un patron de label. Déjà en mauvaise posture financière, il voit sa vie basculer lorsqu’il reçoit un appel d’un rançonneur qui a kidnappé son fils. Il est prêt à payer les 17,5 millions de dollars demandés… jusqu’à ce qu’il apprenne qu’il y a eu méprise et que ce n’est pas son fils qui a été enlevé, mais celui de son chauffeur. Ce n’est plus la même chanson. Celui pour qui l’ascenseur social a fonctionné, parti de rien arrivé tout en haut, oublie soudain toute solidarité. La tournure du film intéresse : la lutte des classes n’épargnerait donc pas la communauté noire que l’on dit si soudée ? Spike Lee va-t-il dégoupiller la grenade sur son propre terrain ? Pas dans l’immédiat. Sermonné par son fils, fan de Kamala Harris, interpellant à voix haute James Brown et Aretha Franklin affichés dans son bureau (véridique), David King comprend qu’on ne tourne pas le dos à sa commu et retourne à la raison. Dans cet appartement tout entier dédié à la gloire des artistes et des icônes noires, on ne peut décemment pas laisser tomber son « bro ». Et c’est un Denzel Washington des grands soirs, qui a avalé tout Shakespeare pour jouer ce type un peu con, qu’on regarde cabotiner pendant 2h13. Si Spike Lee a une histoire à raconter, il interrompt souvent son récit pour s’attarder sur telle réflexion ou telle situation périphériques, histoire de rappeler sa place de parrain, si ce n’est de pionnier, d’un certain communautarisme artistique. Son cinéma est dévoré par l’intention politique, du casting aux sous-intrigues et si pour cela, il doit consacrer dix minutes à une chanson d’une jeune chanteuse que personne ne connaît et qu’il souhaite mettre en avant, alors le film n’a qu’à obtempérer, au détriment de l’intrigue. Tout n’est pas à jeter, bien au contraire. Pour peu qu’on nourrisse (comme nous) une certaine bienveillance à l’égard de Spike Lee – sans pour autant nier qu’il ne vieillit pas toujours hyper bien –, on appréciera les beaux restes de ses talents visuels, avec son tournage en pellicule et sa caméra à l’épaule dès qu’il descend de ses tours et va filmer dans un New York plus populaire. Le film est alors tout simplement somptueux. Ses plans signatures, même insérés au forceps, renforce l’identité d’un film connivent, chaleureux, généreux mais pas très rigoureux. Imprécis et négligé, HIGHEST 2 LOWEST parvient tout de même, au final, à faire un portrait assez sombre de cette réussite afro-américaine qui en laisse beaucoup sur le carreau, boostée aux discours de winners aveugles et sourds au déterminisme. Mais ce point de vue politique captivant et très peu étudié au cinéma puisque sujet sensible, Spike Lee n’en parle jamais concrètement, préférant hélas l’entreprise d’humilité de son héros et sa pseudo-quête d’authenticité, qui pullulent dans les pep talks des leaders d’aujourd’hui.  

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Sortie : 05.09.25 sur Apple TV+
Réalisateur : Spike Lee
Avec : Denzel Washington, Jeffrey Wright, ASAP Rocky, Ilfenesh Hadera
Pays : États-Unis
Durée : 2h13
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