Cannes 2025 : LUMIÈRE PÂLE SUR LES COLLINES
Au tout début des années 1980, Niki, anglaise d’origine japonaise, ambitionne d’écrire un article sur l’histoire de sa famille et en particulier de sa mère, Etsuko, qui a grandi à Nagasaki dans les années 1940. Son aînée lui raconte son quotidien de femme mariée, entre un époux difficile et un beau-père bienveillant, puis son amitié avec sa voisine Sachiko, qui élevait seule sa fille. Au cours de la discussion émerge le fantôme de Keiko, demi-sœur aînée de Niki, récemment suicidée… Le roman éponyme de Kazuo Ishiguro, dont LUMIÈRE PÂLE SUR LES COLLINES s’inspire, installait une grande ambiguïté derrière son apparente clarté. Au fil des chapitres s’insinuait le doute : dans le récit d’Etsuko, où se situe la vérité ? Jamais le romancier ne verbalisait totalement ce mystère et l’éclaircissait donc d’autant moins. Dans son adaptation, Kei Ishikawa embrasse tout d’abord ce trouble en forçant l’identification du spectateur à Niki, lorsqu’elle confie à sa mère : « Je ne comprendrai jamais ce que vous avez vécu à l’époque ». Le cinéaste prend au final le parti de balayer cette incompréhension, cette confusion, et de démêler le fil de cette énigme, de mettre le doigt très clairement sur les sentiments diffus qu’engendrait la lecture du roman. Pourtant, en dépit de ce choix tranché, LUMIÈRE PÂLE SUR LES COLLINES ne souffre d’aucun simplisme. Il gagne peut-être même en force brute. Car tout comme Ishikawa définissait A MAN comme « un labyrinthe sans issue », il déploie ici un récit gigogne captivant où des souvenirs s’imbriquent dans des souvenirs (dans des souvenirs), où les différentes strates de mémoire s’incarnent à l’écran dans des figures stylistiques déjà éprouvées par le cinéaste : le cadre dans le cadre (A MAN) et le travail sur le flou (PREVIOUSLY SAVED VERSION), auxquelles il ajoute une remarquable recherche sur le son comme rémanence invisible du passé, trop douloureuse pour être filmée. Grâce à sa sophistication de mise en scène, le film rejoint le roman : derrière sa classique simplicité, LUMIÈRE PÂLE SUR LES COLLINES fait montre d’une grande complexité thématique et dramaturgique. Il lie les multitudes de ses protagonistes au destin tragique de leur pays, leurs blessures présentes aux traumas d’hier ; il met en parallèle le poids du patriarcat qui pèse sur les femmes japonaises et celui de la tradition, voire de la grandeur japonaise, sous lequel plient les hommes. Kei Ishikawa filme des personnages meurtris et faillibles, qui se débattent dans l’océan de leurs contradictions, de leur honte, de leurs traumas et de leurs rêves. Sans les réduire à des pantins qu’il jugerait ou accablerait. Tout juste, par les voix de la jeune Etsuko et de Niki, leur murmure-t-il un conseil terrassant, ode à la réinvention nécessaire de soi : « Vous allez devoir changer. Tout le monde doit changer. »
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Réalisateur : Kei Ishikawa
Avec : Suzu Hirose, Fumi Nikaido, Camilla Aiko, Yoh Yoshida
Pays : Japon
Durée : 2h03