Cannes 2025 : LA DISPARITION DE JOSEF MENGELE
On sait Kirill Serebrennikov maître esthète de sa caméra. Virtuose, il nous fait tournoyer dans des récits monde, pas loin du baroque, où le grotesque et le sublime se télescopent devant nos yeux. LETO, LA FIÈVRE DE PETROV ou encore le récent LIMONOV : des films épuisants, de bruit et de fureur, pour raconter un état fiévreux du monde. Adaptation du roman d’Olivier Guez, LA DISPARITION DE JOSEF MENGELE prend une tournure différente. Peut-être parce que Serebrennikov s’attaque ici directement à un impensé, une blessure de l’Histoire, quelque chose qui ne cicatrice pas et dont il sait que chaque image peut en raviver la douleur. LA DISPARITION est un film où chaque image compte. Si l’arrogance, la malice inquiétante d’Edouard Limonov, véritable diable insaisissable, appelaient à filmer l’Histoire comme un capharnaüm de sons et d’images, la monstruosité de Josef Mengele exige du cinéaste une rigueur qu’il puise dans un noir et blanc à mi-chemin entre l’expressionisme d’un Murnau et la modernité d’un Melville.
Un monstre en fuite, anxieux de son propre reflet, un corps inquiet en mouvement, une silhouette frêle, voilà ce que devient Mengele, tortionnaire nazi échappé en Amérique du Sud. Mais le Mal, une fois chassé, disparaît-il réellement ? Que reste-t-il de l’horreur d’un système ? Des hommes et des femmes que l’Histoire a jugés. Mais à l’intérieur des âmes ? Si Hannah Arendt a théorisé la banalité du Mal, Serebrennikov filme, lui, une sorte de déni effrayant de ses personnages persuadés d’être dans le juste, ramenant le nazisme à ce qu’il a été et ce qu’il est toujours : la haine au service du pouvoir. Brouillant la linéarité du récit pour mieux questionner l’improbable sentiment de toute-puissance de son protagoniste, Serebrennikov cherche à nous mettre devant les yeux l’impunité de ces hommes et de ces femmes convaincus de la supériorité du IIIe Reich. Il filme la façon dont le langage altère la réalité, dont les rires masquent l’horreur, dont la politesse trahit la violence. Constamment, par un subtil jeu de points de bascule, le quotidien de Mengele et de sa troupe est vu à travers « les petits », ceux sur lesquels il exerce encore son idéal de pouvoir. Un mariage prend soudain des airs de rallye nazi dans les yeux de deux enfants et un repas familial de conciliabule de guerre face au ballet des serviteurs.
Mais ce point aveugle doit, à un moment, être regardé en face. Dans une séquence en couleur à l’esthétique Super 8, LA DISPARITION capture les camps avec des images d’une horreur absolue où la mécanique de mort est filmée comme un film de vacances. Dérangeant, ce moment filme ce que Glazer laissait hors champ dans LA ZONE D’INTÉRÊT. Comme une façon d’alerter le spectateur, de ne pas le laisser sombrer dans le regard de Mengele. Le déni du Mal, la réécriture de l’Histoire comme une fuite, une échappée absurde, une incarnation de la folie pure. Terrible, LA DISPARITION DE JOSEF MENGELE est comme un film d’horreur. Dans ce noir et blanc sans échappatoire, chacun est obligé de regarder le monstre en face. Et plus il apparaît humain, c’est-à-dire pathétique, plus il terrifie.
Partagez cette chronique sur :

Réalisateur : Kirill Serebrennikov
Avec : August Diehl, Dana Herfurth, Friederike Becht, David Ruland
Pays : France / Russie
Durée : 2h15