A REAL PAIN
Dans sa première réalisation, WHEN YOU FINISH SAVING THE WORLD, Jesse Eisenberg mettait en scène une mère et son fils (Julianne Moore et Finn Wolfhard) mal assortis, jugeant voire méprisant les partis-pris de l’autre sans vraiment les comprendre. Deux personnalités envahissantes, qui dissimulaient leurs peines et insécurités derrière des armures d’arrogance faisant d’eux des figures grinçantes au mieux, agaçantes au pire. Trois ans plus tard, Eisenberg convoque à nouveau un duo dans A REAL PAIN, lui aussi empêché par ses afflictions, mais dont les armures apparaissent beaucoup plus perméables, plus universelles, facilitant d’immédiates passerelles d’identification avec les spectateurs. Cousins unis par un amour fraternel, David (Jesse Eisenberg) et Benji (Kieran Culkin) se sont un peu éloignés. Pourtant, ils décident de partir ensemble en Pologne pour un voyage organisé autour de la Shoah qui leur donnera l’occasion de voir la maison que leur grand-mère, récemment décédée, habitait avant d’émigrer en Amérique. Mec nerveux dont le débit n’exprime pourtant aucun des sentiments profonds qu’il refoule, David croit trouver le repos en méditant, en courant, en assurant que sa peine n’a rien d’exceptionnel. Mec à problèmes cool et sensible qui verbalise tout ce qui lui passe par la tête, à commencer par ses émotions, capable du meilleur comme du pire, sociable et curieux de l’autre, Benji « éclaire la pièce » de son charisme, « avant de chier partout dedans ». Eisenberg écrit remarquablement ces stéréotypes dès la première scène, festival de comédie où David, paniqué par son voyage, harcèle Benji d’une litanie de messages vocaux. Un peu comme Eisenberg lui-même, qui assaille le spectateur de dialogues, sans pour autant sombrer dans le verbiage casse-pieds : le texte offre une multitude d’informations et de détails utiles, et permet une caractérisation toujours plus fine des personnages, tant par ce qu’ils disent que par la manière dont ils le disent. Un héritage qu’Eisenberg tire évidemment de son expérience de dramaturge. Pourtant, A REAL PAIN n’a rien d’un théâtre filmé, l’ADN de son histoire étant même intimement lié aux décors polonais qu’il traverse – et notamment le camp de Majdanek, pour une séquence silencieuse gorgée d’émotions. Voyage vers le cœur de David et Benji, mais voyage aussi au cœur de leur judéité et de la peine atavique qui l’anime, A REAL PAIN recèle de trésors d’humanité, qu’il expose avec autant de drôlerie que d’élégance et d’empathie. Comme la deuxième naissance de cinéaste de Jesse Eisenberg, cette fois triomphale.
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Réalisateur : Jesse Eisenberg
Avec : Jesse Eisenberg, Kieran Culkin, Will Sharpe, Jennifer Grey
Pays : États-Unis
Durée : 1h30