Cannes 2024 : MEGALOPOLIS
Rien ne fait généralement plus plaisir qu’un geste de cinéma fou. Souvent suicidaire, camp et de mauvais goût, il manifeste souvent d’une idée très romantique du septième art, très sincère. Et à n’en pas douter Coppola a fait le film qu’il fantasmait depuis des années, c’est admirable, et comme il l’a financé avec ses propres deniers, il n’a volé personne. Toutefois, ce n’est pas lui qui nous rendra les 2h20 de calvaire qu’on vient de vivre. Parce qu’on accepte beaucoup des cinéastes qu’on aime – la fameuse politique des auteurs si chère à la France fonctionne à plein avec Coppola – on était partis pour aimer, pour célébrer sa fameuse indépendance, sa carrière de maverick. Et puis, non. Son délire à lui, on lui laisse. Sa vision des femmes archaïque, son patriarcat comme modèle de société, sa schématisation sociale avec ses pauvres moches aux visages crasseux et ses riches admirables et totalement hors-sol, pourrit littéralement ce scénario déjà pas bien malin où s’affrontent deux visions du monde : le progrès et le statu quo. Aucun des deux n’est vraiment mauvais, les deux essaient même de se tolérer et de s’épouser par l’entremise d’une femme qui cherche à aimer son mari sans décevoir son père – les deux étant des avatars fictionnels de Coppola, Giancarlo Esposito jouant un procureur qui s’appelle Francis et Adam Driver, un créateur maître du temps.
On n’a même pas envie de pitcher le film tant tout est superficiel et que la vision politique du monde que nourrit Coppola semble avoir été filtrée par Google news. Un peu de Taylor Swift par ici, « Make machin Great Again » pour illustrer le populisme (original), un tout petit peu de cancel culture et l’imagerie resucée d’émeutes… On imagine assez bien Coppola regarder les infos et prendre des notes sans avoir mis le nez dehors depuis dix ans. En résulte un film dont les sujets sont traités avec la même superficialité que l’esthétique adoptée. Car, oui, à part une ou deux séquences absolument grandioses de chaos – de gigantesques statues qui s’animent et s’écroulent ; des ombres de corps torturés projetées sur les murs lorsqu’une pluie de débris d’un satellite vient détruire la ville –, le film n’est même pas bien beau à regarder, rappelant le look des soaps mais sans aucun second degré. Le carton-pâte est souvent assumé mais l’image n’a pas l’air plus authentique ou cinématographique en décor naturel. Dès que MEGALOPOLIS lorgne vers la comédie – et parfois malgré lui –, il est totalement ringard. Dès qu’il se fait philosophique, c’est un pensum, recyclant des citations en latin, citant Marc Aurèle en Anglais et ressassant des questions de bac philo (« Qu’est-ce que l’être humain ? » « Qu’est-ce que le courage ? »). Voyez-nous lever les yeux au ciel devant cette boursouflure qui se donne des airs intelligents sans comprendre qu’elle est déjà larguée.
Dans cette galère, les acteurs font ce qu’ils peuvent. Pas facile de donner de la chair à des personnages créés sur des fondations branlantes : dans MEGALOPOLIS, il n’y a aucun world building digne de ce nom – cette matière appelée Megalon, dont le script se fait les gorges chaudes, on ne sait pas vraiment ce que c’est et pour tout avouer, on s’en fiche pas mal. Deux comédiens savent parfaitement dans quel film ils jouent : le neveu de Nicolas Cage, décalque de son oncle et donc parfaitement à sa place dans tout cet excès, et Shia LaBeouf qui, si on peut se permettre un instant de « séparer l’homme de l’artiste », nous manquait beaucoup – bien que son personnage perpétue le trope lassant du « méchant efféminé » et finit puni par deux flèches dans les fesses, n’en jetez plus. Les autres sont prisonniers d’une orgie de mégalomanie et de mauvais goût, d’un SOUTHLAND TALES sans acuité politique, d’un JUPITER ASCENDING sans génie. Mais encore une fois, après tout, c’est son argent.
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Réalisateur : Francis Ford Coppola
Avec : Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Giancarlo Esposito, Shia LaBeoug, Aubrey Plaza
Pays : États-Unis
Durée : 2h18